Pourquoi des centaines de millions de personnes en Afrique meurent encore de faim ?
Quand j’ai lu que l’agriculture absorbe près de 70 % de l’eau douce mondiale, mon esprit naïf a immédiatement fait un raccourci “logique”(ou pas) : si l’eau va à l’agriculture, alors la nourriture doit suivre. Mais apparemment c’est bien plus complexe que ça , donc j’ai voulu creuser pour comprendre et je partage ce que j’ai découvert avec vous !
Sur un continent où l’agriculture fait vivre près de 60 % de la population, où la majorité des pays dépendent encore des pluies pour produire, plus de 280 millions de personnes souffrent de la faim et plus de 100 millions n’ont pas accès à l’eau potable . Comment expliquer qu’avec tant d’eau consacrée aux cultures, tant de personnes meurent de faim et de soif ?
1. Un chiffre global qui cache de profondes inégalités
Le fameux chiffre des 70 % est une moyenne mondiale trompeuse. En Afrique, moins de 7 % des terres cultivées sont irriguées (BAD, 2024). La quasi-totalité des champs dépendent des pluies. Autrement dit : là où la faim sévit, l’eau n’est souvent pas maîtrisée.
En Égypte, au Maroc ou en Afrique du Sud, l’irrigation existe. Mais au Sahel ou en Afrique de l’Est, une seule saison ratée peut réduire les familles à la famine. L’eau agricole existe, mais elle n’est ni distribuée équitablement, ni utilisée efficacement.
Autrement dit, l’eau est bien utilisée par l’agriculture, mais pas là où la faim est la plus forte, ni de la manière la plus efficace.
2. Une démographie et une économie sous pression
L’Afrique compte aujourd’hui 1,2 milliard d’habitants et devrait doubler d’ici 2050 (ONU, 2024). Chaque année, plus de 40 millions de nouvelles bouches à nourrir. Or la productivité agricole stagne : la majorité des paysans pratiquent une agriculture de subsistance, sans mécanisation ni semences de qualité.
Résultat : l’eau est utilisée, mais elle ne se transforme pas en une production capable de suivre la croissance démographique. La dépendance aux importations augmente. Aujourd’hui, le continent importe 85 % de son blé. Quand la guerre en Ukraine éclate, les prix flambent, aggravant la faim.
3. Le climat, multiplicateur de crises
Le climat, autrefois relativement prévisible, devient désormais un facteur de chaos :
- Dans la Corne de l’Afrique, cinq saisons des pluies consécutives ont échoué (2020–2023), créant une crise alimentaire sans précédent.
- Au Nigeria, en 2022, les inondations ont détruit 500 000 hectares de cultures. En 2025, le Nord-Ouest du pays subit une sécheresse sévère, affectant 31 millions de personnes en insécurité alimentaire.
- En Afrique australe, l’El Niño de 2024 a ravagé les cultures de maïs et de mil.
- À Madagascar, les sécheresses répétées poussent des milliers de familles à migrer.
Ces événements montrent que le problème n’est pas seulement la quantité d’eau disponible, mais son imprévisibilité et son extrême variabilité.
4. Gouvernance et infrastructures : un retard structurel
Le manque d’infrastructures hydriques est criant. Peu de barrages, peu de stockage, peu d’irrigation moderne (goutte-à-goutte, canaux fermés). Le Maroc, confronté à une sécheresse historique, a choisi une stratégie proactive : désalinisation, interdiction de certaines cultures gourmandes en eau, transferts hydriques. D’ici 2030, le pays vise 1,7 milliard m³/an d’eau dessalée.
Mais ailleurs, beaucoup de pays manquent de moyens. Les financements internationaux existent, mais ils ciblent souvent les grandes infrastructures, pas les petits producteurs qui forment pourtant la base de la sécurité alimentaire. La corruption et l’instabilité politique aggravent la vulnérabilité.
5. Conflits et déplacements : quand l’eau devient un enjeu de survie
À ces vulnérabilités s’ajoute l’instabilité politique. Les conflits déplacent des millions de personnes, coupent les circuits de production et de distribution.
- Au Soudan, la guerre de 2023–2024 a contraint des millions d’agriculteurs à abandonner leurs terres.
- Dans le Sahel, Boko Haram et d’autres groupes armés chassent les paysans de leurs champs, rendant impossible la culture.
- Au Malawi, la sécheresse a déjà déplacé près d’un million de personnes entre 2019 et 2025
L’eau et la terre deviennent des instruments de pouvoir et de contrôle. Ceux qui les perdent basculent dans la pauvreté et la migration.
Là encore, l’eau existe, mais elle n’est plus accessible pour produire de la nourriture.
6. Une dépendance héritée aux marchés mondiaux
Le colonialisme a structuré les économies africaines autour de cultures d’exportation (cacao, café, coton), au détriment des cultures vivrières. Cet héritage persiste. Aujourd’hui, une partie de l’eau agricole en Afrique nourrit les marchés mondiaux plutôt que les populations locales.
Les programmes d’ajustement structurel des années 1980–1990 ont encore affaibli les investissements publics dans l’agriculture vivrière. Résultat : des systèmes fragiles, dépendants des importations et des cours mondiaux.
L’eau consommée dans les champs africains ne sert pas toujours à produire du maïs ou du sorgho pour nourrir les populations locales, mais du cacao ou du café destinés aux marchés mondiaux.
Pourquoi c’est une urgence, pas un problème lointain
Il faut le répéter : ce paradoxe tue.
- Parce que l’eau, mal gérée et mal distribuée, ne nourrit pas ceux qui en ont besoin.
- Parce que la population croît plus vite que la productivité.
- Parce que le climat accélère les chocs.
- Parce que la dépendance mondiale enferme l’Afrique dans une vulnérabilité structurelle.
Les conséquences ne sont pas seulement africaines :
- En Europe, chaque crise alimentaire africaine se traduit par une hausse des migrations et inflation alimentaire..
- Chine : investissements agricoles menacés, hausse du coût des importations.
- Moyen-Orient & Asie : panique alimentaire en cas de crise africaine (forte dépendance aux importations).
- États-Unis : instabilité géopolitique dans des zones stratégiques, risques accrus de terrorisme.
Une contradiction apparente mais révélatrice
Finalement, l’agriculture consomme bien 70 % de l’eau mondiale, mais cela ne garantit pas la sécurité alimentaire. Parce que tout dépend de comment cette eau est utilisée, où elle l’est, et au profit de qui.
L’Afrique illustre une vérité fondamentale : l’eau ne nourrit pas à elle seule. C’est la manière dont elle est gérée, distribuée et mise au service des populations qui fait la différence. Tant que les politiques agricoles, hydriques et économiques resteront déconnectées des besoins humains, le continent continuera à vivre ce paradoxe mortel : beaucoup d’eau, mais trop peu de nourriture.
Et ce paradoxe, loin d’être africain seulement, est un miroir : ce qui se joue aujourd’hui en Afrique déterminera en partie l’équilibre alimentaire, économique et politique du monde entier.

